Le projet de décret-programme actuellement à l’examen au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et qui fait suite au conclave budgétaire pour le budget initial 2026 contient, en son article 103, des dispositions menaçant de front la liberté associative et, conséquemment, tout l’écosystème associatif. La FESEFA vous explique le contexte général et les enjeux de cet article.
De quoi s’agit-il ?
Dans le cadre du conclave budgétaire, le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FW-B) a décidé de supprimer les subventions accordées à des organisations jugées proches de partis politiques.
Les organisations visées sont :
- des associations d’Éducation permanente ;
- des centres d’archives ;
- les jeunesses politiques, reconnues au titre d’organisations de jeunesse, catégorie « Mouvement thématique ».
Outre les économies envisagées, l’argument invoqué se trouve dans la Déclaration de Politique Communautaire conclue par les partenaires MR-Engagés : « L’autonomie d’action et de conviction du secteur associatif sera pleinement garantie. Il sera toutefois veillé à ne plus permettre à des ASBL de dévoyer de l’argent public pour des actions de promotion de partis politiques »[1]. L’objectif affiché est d’éviter que des fonds publics financent indirectement des partis politiques, déjà subsidiés par ailleurs au travers d’une dotation provenant du fédéral.
Dans les documents de travail qui ont circulé en amont de la décision gouvernementale, deux visions politiques coexistent. Les Engagés ciblent une douzaine de structures qu’ils associent à des partis (environ 3 millions d’économies). Le MR élargit amplement la liste à d’autres organisations (environ 20 millions d’économies).
Cibler de la sorte des associations pour leur proximité aux ambitions politiques des partis démocratiques en Fédération Wallonie-Bruxelles fait craindre au secteur socioculturel une atteinte grave au pluralisme et une assimilation abusive d’actions citoyennes en actions « partisanes ».
Une proposition en opposition avec la Constitution et la Loi du Pacte culturel
S’appuyant sur la Constitution et la liberté de s’associer, la Loi du Pacte culturel (1973)[2] contient des règles essentielles relatives à la politique culturelle de notre pays. Elle prévoit que les autorités doivent impliquer les particuliers et les associations dans leurs projets culturels. Cette loi interdit explicitement :
- toute discrimination fondée sur la tendance idéologique ou philosophique d’une association ;
- toute exclusion d’une organisation reconnue au motif d’un lien réel ou supposé avec un courant politique.
Selon les spécialistes de la question, une telle réforme serait contraire à la Constitution (articles 10, 11 et 131) et exposerait la FW-B à des recours quasi certains devant la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État.
Le projet de décret-programme et l’article 103 : un premier pas vers l’exclusion
Le projet de décret-programme budgétaire portant sur 2026 et prochainement en discussion au Parlement de la FW-B introduit un dispositif particulièrement sensible : l’article 103, qui constitue la première mesure concrète ciblant certains opérateurs de l’Éducation permanente sur cette base discriminatoire.
Que prévoit l’article 103 ?
L’article 103, pour les associations dont la reconnaissance (à durée déterminée ou indéterminée) arrive à échéance en 2025 et qui rempliraient 4 critères sur 8 considérés comme des signes de « proximité » politique leur impose une prolongation d’un an de reconnaissance (au lieu d’un renouvellement normal de 5 ans). Le commentaire de l’article vise uniquement certaines structures d’Éducation permanente (sont explicitement cités les centres d’études du MR – Centre Jean Gol, de Défi – Centre Jacques Georgin et du PS – Institut Émile Vandervelde).
L’exposé des motifs précise que ce mécanisme est temporaire, en attendant un décret ultérieur visant le retrait définitif de subventionnement pour les associations jugées trop proches d’un parti.
Il s’agit clairement d’un filtre idéologique préalable au définancement annoncé en 2026 qui définirait des règles nouvelles s’appliquant rétroactivement sur les 5 dernières années !
Pourquoi cet article inquiète fortement le secteur ?
Un mécanisme discriminatoire sur la base de critères flous
Les 8 critères mobilisés sont :
- non définis clairement ;
- sujets à large interprétation ;
- applicables potentiellement à toute association citoyenne.
Pointons le « soutien à un parti politique spécifique », le concept de « famille politique », « les dotations indirectes en provenance d’un parti politique », le « partage de ressources humaines ou de structures juridiques » ou encore l’usage récurrent de « symboles, couleurs, slogans… » liés à un parti politique.
Le risque d’arbitraire administratif est majeur et confond prise de position politique et discipline partisane. Cela ouvre la porte à des « enquêtes idéologiques » contraires à la promotion d’un débat pluriel et démocratique. Une vraie chasse aux sorcières, qui risque de ne pas s’arrêter aux partis politiques !
Une remise en cause directe du fondement du Décret Éducation permanente
Le Décret EP (art. 1er) définit l’éducation permanente comme :
- politique au sens large (participation à la vie publique, interpellation des pouvoirs publics) ;
- critique ;
- émancipatrice.
Assimiler l’expression politique ou critique à des alignements « partisans », comme le fait l’article 103, revient donc à :
- neutraliser la mission démocratique du secteur ;
- empêcher le pluralisme ;
- punir l’esprit critique ;
- réduire la liberté d’expression associative.
Une atteinte au pluralisme idéologique protégé par la Constitution et le Pacte culturel
L’article 103 contrevient à des principes fondamentaux :
- le pluralisme idéologique ;
- la liberté d’association ;
- la protection des minorités philosophiques ;
- la non-discrimination en matière culturelle ;
- l’association des utilisateurs et de toutes les tendances idéologiques et philosophiques à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique culturelle.
Par conséquent, de nombreux recours juridiques sont probables si cet article est adopté.
En résumé, quel est l’enjeu pour nos membres ?
Le Gouvernement souhaite faire des économies. Mais certains scénarios vont très loin, calculette à la main, en pointant des ensembles qui dérangent et, pour les supprimer, en confondant engagement citoyen légitime et suivisme partisan.
L’article 103 est le premier mécanisme concret ouvrant la voie à un définancement ciblé d’associations perçues comme « idéologiquement marquées ».
Cette évolution met en cause :
- Le pluralisme ;
- La liberté d’expression ;
- La fonction démocratique des associations et en particulier celles de l’Éducation permanente ;
- La stabilité du financement d’une partie importante du secteur.
Il s’agit donc d’un dossier transversal, et potentiellement dangereux pour l’écosystème associatif, même pour celles et ceux qui ne sont pas directement visés dans la première vague.
Voilà pourquoi il est essentiel de marquer notre plus profond désaccord dans ce dossier au nom des principes démocratiques qui fondent la Fédération Wallonie-Bruxelles. Voilà pourquoi nous avons adressé une lettre ouverte aux députées et aux députés en amont des votes en commissions et en séance plénière au Parlement.
[1] Déclaration de Politique Communautaire 2024-2025, p 10
[2] Loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques.
